L’île de Kalymnos fait partie des 12 îles principales de l’archipel du Dodécanèse dans le Sud-Est de la mer Égée.

L’île et ses habitants ont acquis une réputation mondiale pour la pêche, le traitement et le commerce de l’éponge. Il semble que la pêche à l’éponge soit connue depuis l’antiquité. Les éponges sont présentes dans la littérature d’Homère et dans la mythologie. On a même retrouvé des vases du 5ème siècle avant notre ère où figurent des scènes de pêche à l’éponge.

Cependant, il faudra attendre la conjonction de deux facteurs pour que la pêche à l’éponge prenne un développement fulgurant à Kalymnos à partir du milieu du 19ème siècle :

  1. La libéralisation et la sécurisation de la navigation en mer Égée et Méditerranée orientale ;
  2. La révolution industrielle en Europe et aux États-Unis, grands consommateurs d’éponges.

Ainsi, à partir des années 1860-1870, la petite île aride, escarpée, située à quelques encablures des côtes d’Anatolie va se développer au point de créer de véritables fortunes détenues par quelques grandes familles et attirer une émigration importante des autres îles du voisin Grec nouvellement indépendant. Rappelons que les îles du Dodécanèse restèrent sous domination Ottomane jusqu’en 1912, avant de passer sous occupation Italienne, et ne rejoignirent la Grèce qu’en 1948.

En quelques années, la plaine séparant le port principal de Pothia et le village principal de Chora se couvre d’ateliers, d’entrepôts, de fabriques. La physionomie du port change. On agrandit les quais. On construit des chantiers navals capables de construire des modèles de bateaux spécifiques à la pêche à l’éponge. Les banques et intermédiaires de commerce s’installent sur l’île pour faciliter le commerce et le transport vers les ports d’Ermoupolis (île de Syros dans les Cyclades) puis du Pirée et plus loin encore vers l’Europe de l’Ouest. Dans certains quartiers s’érigent peu à peu quelques demeures néoclassiques aux jardins luxuriants et à l’aménagement typiquement Ouest-Européen.

Cette période d’abondance va durer jusqu’à l’entre-deux guerres avant de lentement décliner suite à l’invention de l’éponge synthétique, qui lui porte un coup fatal.

Au tournant du 20ème siècle, l’île compte environ 300 bateaux, chacun embarquant une vingtaine d’hommes. Les frêles embarcations appareillent pour des missions de 6 mois (de Juin à la Saint Nicolas, le 6 Décembre) et partent en flottilles d’environ 5 bateaux vers l’Egée, mais aussi beaucoup plus loin vers la Crète, la Libye, la Tunisie, la Sicile.

Jusqu’en 1860-1870, la technique de pêche n’a que très peu évolué : les hommes plongent nus à l’aide d’une lourde pierre plate encordée et un filet autour du cou pour stocker les éponges pêchées, et un trident très long pour pêcher l’éponge. Les hommes restés sur le bateau observent le fond de l’eau avec un seau percé dont le fond a été remplacé par un verre plat.

Les dangers sont multiples pour les plongeurs : le manque d’air bien entendu, mais aussi les naufrages de ces frêles embarcations, les attaques de requins, et un parasite souvent mortel présent sur la racine de l’éponge et qui peut attaquer le plongeur au moment où il la coupe : l’aktinium.

À partir des années 1870, la technique évolue et on introduit progressivement le scaphandre avec alimentation en oxygène par un mécanisme fonctionnant à la force des bras des marins restés sur le pont. Les plongeurs restent plus longtemps au fond et peuvent plonger plus profondément mais, insuffisamment formés aux techniques de décompression, ils courent un nouveau danger, l’accident de décompression, qui occasionne nombre de catastrophes allant de la motricité réduite à la mort, en passant par la paralysie. On évalue le nombre de victimes à 30 000. Il faudra attendre les progrès technologiques et la création d’une école spécifique de formation à la plongée pour réduire drastiquement l’accidentologie des pêcheurs d’éponge.

À partir des années 1950, l’invention par la société américaine Dupont de l’éponge synthétique va être quasi fatale pour les pêcheurs d’éponges. Depuis l’entre deux guerres déjà, la crise économique et la concurrence des éponges de Floride et de Cuba ont entamé la prospérité de l’île. Deux tiers des habitants de l’île sont alors partis majoritairement en Australie et aux États-Unis. En Floride se crée avec la diaspora Grecque de Kalymnos la deuxième capitale mondiale de l’éponge : Tarpon Springs.

En 1986, une épidémie d’une rare violence décime les éponges de Méditerranée portant une énième estocade à la profession.

La pêche à l’éponge fait partie intégrante de l’identité de l’île. Pendant longtemps, le rythme des fêtes et de nombreux us et coutumes de l’île étaient calés sur le calendrier de la pêche et directement influencés par la profession. Ainsi, le départ des bateaux à la fin du printemps donnait lieu à la fête de l’amour où chacun témoignait de son attachement à sa famille, aux marins, et souhaitait prospérité et sécurité pour la nouvelle campagne de pêche. De même, de grandes célébrations accueillaient le retour des flottilles à la Saint Nicolas, même si la fête était souvent gâchée  par l’annonce aux veuves ou aux parents des accidents survenus. Les familles de Kalymnos ont souvent connu des drames, à tel point que certain surnommèrent Kalymnos l’île des veuves. La pêche à l’éponge a aussi laissé un patrimoine culinaire et musical. Certains plats, souvent roboratifs mais cuisinés à base d’ingrédients simples, sont l’héritage direct de la cuisine confectionnée sur les bateaux par les plongeurs. De même, la danse « το χορό του μηχανικού  » n’est autre qu’un vibrant hommage aux valeureux plongeurs, la danse reprenant des pas dégingandés figurant le scaphandrier victime d’un accident . Enfin, plusieurs chansons traditionnelles ont été écrites pour louer les exploits des plongeurs et rappeler la dangerosité du métier. Ainsi, on ignore tous que la fameuse chanson de Dalida, « Darladirladada » popularisée dans le film « les Bronzés « , n’est ni plus ni moins que la reprise d’un des plus fameux chants des pêcheurs d’éponge de Kalymnos !

Bateau de pêche à KalymnosMalgré la fin de la période d’apogée que connut l’île il y a un siècle, quelques pêcheurs, artisans et commerçants d’éponge perpétuent le savoir-faire et l’héritage en permettant à tous ceux qui le souhaitent d’utiliser des éponges naturelles à la maison et de faire vivre la tradition. Les éponges de Kalymnos sont d’une qualité remarquable et les artisans commercialisent généralement 3 à 5 variétés en différentes tailles et de différentes qualités. Les variétés aux couleurs, moelleux, grosseurs des spores diffèrent,  dépendant de la région de pêche, de la profondeur des eaux et du traitement reçu. Elles sont naturellement utilisées dans la cosmétique, l’hygiène mais aussi dans les arts et l’artisanat.

Si vous allez à Kalymnos, vous verrez que l’île se tourne vers le tourisme de l’escalade. Cependant, la culture et le patrimoine lié à la pêche à l’éponge ne sont jamais loin. Vous la toucherez du doigt, un soir sur le quai du port. Il vous suffira alors d’entendre simplement quelques notes de musique, de croiser les visages burinés par le sel et le soleil d’hommes dont le regard doux se porte toujours vers le large et qui bien qu’à la démarche difficile tapent dans les mains pour accompagner la danse qui leur rend hommage.