Dans l’histoire récente de la Grèce, il est une période dont on parle encore peu et qui pourtant a duré plus de 7 ans : la période de la dictature dite « des colonels » d’Avril 1967 à Juillet 1974. Pour ceux qui s’intéressent à la Grèce, à sa culture, à sa vie politique et à son histoire récente, il est indispensable de se pencher sur période.  Il serait prétentieux de vouloir traiter de l’intégralité de la question ici. Nous vous proposons néanmoins de vous en décrire les principaux faits marquants : ses origines, qui conduisirent au coup d’état du 21 Avril 1967, les temps forts des 7 années de son histoire et sa chute au cœur de l’été 1974.

Le coup d’état du 21 Avril 1967

Au cœur de la nuit du 21 Avril 1967, les Athéniens sont réveillés dans leur sommeil par un lourd vacarme dans les rues. Des dizaines de chars roulent sur le pavé des avenues de la capitale Grecque, prennent position au parlement mais aussi devant tous les ministères et les points stratégiques de la capitale : le port du Pirée, l’aéroport d’Ellinikon, les gares. Les officiers de l’armée investissent les lieux de pouvoirs et un communiqué est diffusé à la radio d’Etat : « Certaines parties de la constitution étaient en danger. Le roi Constantin a prié l’armée de prendre le pouvoir afin de maintenir l’ordre ». Cette version sera toujours catégoriquement réfutée par Constantin II. Les putschistes sont trois officiers de l’armée : Stylianos Pattakos, Nicolaos Makarezos et Georgios Papadopoulos. Ils forment un gouvernement, organisent immédiatement les rafles d’opposants et des principaux responsables politiques du pays. Une chape de plomb tombe sur le pays pour 7 longues années. Mais comment en est-on arrivé là ?

Entrée des chars à Athènes

Entrée des chars à Athènes

La Grèce de l’après deuxième guerre mondiale est rongée par une instabilité gouvernementale et une forte division du pays. En effet, à l’issue du conflit, les puissances alliées se déchirent : l’URSS voit dans la Grèce un ultime pays à arrimer au bloc de l’Est pour lui donner un accès à la Méditerranée et les autres alliés, au premier rang desquels les Anglais et les Américains, voient dans la Grèce un ultime poste avancé à l’Est de la Méditerranée. Les alliés se déchirent, et les Grecs aussi. De 1945 à 1949, la Grèce subit une guerre civile violente entre les communistes (alignés sur l’URSS et les voisins balkaniques communistes) et les forces royalistes (alignés et soutenus par le Royaume Uni et les Etats Unis). La guerre civile détruit un peu plus le pays, économiquement et socialement. Même la puissante église orthodoxe Grecque est traversée par des courants de division : certains popes ruraux soutiennent les belligérants des forces communistes. Pendant plus de 3 ans, l’Epire, la Macédoine et la Thessalie passent aux mains de l’armée démocratique Grecque (communiste), le reste du pays (le Péloponnèse et les îles) sont eux aux mains du pouvoir monarchique d’Athènes. Cependan,t en 1948, les forces communistes perdent le soutien de Staline et Tito. En 1949, la victoire des forces royalistes est totale. Après quasiment 10 ans de guerre (conflit mondial + guerre civile) la Grèce a perdu 10% de sa population, la quasi-totalité de sa flotte marchande, alors même que les conséquences de la crise micrasiate de 1922 et son afflux de réfugiés n’est toujours pas digérée.

La vie politique de la décennie 1950 est alors dominée, sous l’égide des monarques, Georges II puis Paul 1er, par les parties conservateurs. L’armée a une influence considérable, surfant sur les sentiments anticommunistes, la peur du voisin Turc, et la nécessité de lancer le redressement économique et culturel du pays.  L’armée et la police obtiennent l’arrestation et la déportation aux îles d’un grand nombre d’opposants politiques communistes. Au début des années 1960, c’est l’armée et la police qui sont accusés d’être derrière l’assassinat du député progressiste Gregoris Lambrakis. Cet épisode marquant de la vie politique Grecque sera à l’origine du livre et du fameux film de Costa Gavras : Z.

Peu à peu, le palais obtient de la constitution des pouvoirs importants, au point que le premier ministre conservateur Karamanlis se brouille avec les souverains Paul et Frédérica les accusant à demi-mots d’avoir truqué les élections d’Octobre 1961 (pourtant remportées par Karamanlis lui-même). A la même époque, Karamanlis met son véto à une collecte de fonds organisé par la fondation de la reine Frédérica, au prétexte que sa gestion est trouble et que des liens avec des forces nationalistes et militaires seraient possibles. En 1963, c’est le centre gauche qui remporte les élections avec Georges Papandréou. Karamanlis s’exile à Paris. Le palais et l’armée s’affolent. L’instabilité gouvernementale continue. De nouvelles élections sont organisées 4 mois plus tard, mais Georges Papandréou remporte une seconde fois les élections. L’armée crée une organisation secrète, l’Idea, profondément anticommuniste. L’organisation se structure peu à peu et organise des plans et scénarios visant à prendre le pouvoir en cas de tensions accrues. De nouvelles élections sont prévues fin mai 1967, et toutes les études montrent que le centre gauche sortira vainqueur des élections. L’Idea lance alors le plan Prométhée pour la nuit du 21 Avril. Le coup d’état des colonels est lancé, et réussit.

Les 3 colonels : Stylianos Pattakos, Nicolaos Makarezos et Georgios Papadopoulos

Les 3 colonels : Stylianos Pattakos, Nicolaos Makarezos et Georgios Papadopoulos

Le temps de la dictature

Dans les jours qui suivent le coup d’état, aucune opposition institutionnelle ne permet d’enrayer l’inéluctable : l’archevêque d’Athènes est déposé et remplacé par un proche de la junte militaire, les principaux responsables de gauche et les libéraux du centre sont arrêtés, déportés ou placés en résidence surveillée : c’est le cas notamment du leader du centre gauche et ancien premier ministre Georges Papandreou. Dans les mois qui suivent, de nombreux intellectuels, considérés communistes ou comme tels, sont arrêtés et emprisonnés. Un grand nombre choisit l’exil vers Londres, Paris et New York. C’est à Paris que la résistance intellectuelle et politique s’organise. Deux hommes politiques y sont en exil : Constantin Karamanlis et Constantin Mitsotakis. Des intellectuels Français (Sartre, Servan-Schreiber) organisent des comités de soutien à la démocratie.

Le roi Constantin tente un contre coup d’Etat le 13 Décembre 1967 avec le soutien d’une partie de l’armée. Il échoue et est obligé de s’exiler avec toute la famille royale à Rome puis à Londres. Les colonels ont désormais le champ libre : Georgios Papadopoulos devient chef du gouvernement.

Les 3 colonels, pour donner une légitimité démocratique au régime, laisse des gouvernements fantoches se mettre en place, alors que seule la junte militaire est aux commandes. Le régime prend des mesures dans tous les domaines de la société, relayé en cela par une administration dont l’intégralité des dirigeants a été changée aussitôt après le coup d’Etat. La mini-jupe et les cheveux longs sont interdits. Les partis politiques et les organisations syndicales sont interdits. Des tribunaux d’exception voient le jour : on peut arrêter les citoyens sans mandat, les juger sans avocat et les déporter. Une île-rocher sur l’Egée est réquisitionnée : Yaros (entre Kéa, Syros et Andros). Des milliers de personne y sont déportées et doivent y construire leur propre prison. Les conditions de détentions sur ce caillou de l’Egée sans ombre ni eau potable battu par le vent sont régulièrement dénoncés par les organisations humanitaires.

De nombreux ouvrages ou musiques sont interdits (Mikis Theodorakis, Yannis Ritsos). Mélina Mercouri, qui de l’étranger incarne la résistance au régime, est excommuniée et perd sa nationalité Grecque.  Les programmes scolaires sont changés, on met désormais en avant la gloire passée de la Grèce Antique et de la Grèce chrétienne. L’enseignement du Grec pur, Katharevoussa est systématisé et le Grec populaire, le démotique, est prohibé. La dictature choisit comme emblème le phénix, symbolisant une Grèce qui renaitrait de ses cendres.

De la contestation à la chute des colonels

En Novembre 1968, l’ancien premier ministre Georges Papandréou, qui avait été placé en résidence surveillée, décède. Sa mort est suivie de la première grande manifestation de masse anti-régime. 200 000 personnes défilent à Athènes derrière son cercueil en chantant l’hymne national et en scandant le mot liberté. En Avril 1970, sous la pression internationale et le soutien des exilés et intellectuels parisiens, le compositeur Mikis Theodorakis est libéré et rejoint Paris. Tout comme Mélina Mercouri, l’artiste se lance alors dans des tournées mondiales pour dénoncer la dictature d’Athènes.

C’est en 1973 que les manifestations et l’agitation étudiantes vont catalyser les mécontentements et commencer à ébranler le solide édifice de la dictature en place depuis 6 ans. En Février 1973, les étudiants de la fac de droit d’Athènes se rebellent, occupent l’université et inventent un slogan qui fera date dans l’histoire : « Psomi, Paideia, Eleftheria« , « Pain, Education, et liberté ». En Juillet 1973, Georgios Papadopoulos organise un simulacre de démocratie en convoquant un référendum qui détrône le roi Constantin en exil et fait de lui le président de la république Grecque. Il convoque dans la foulée des élections parlementaires. Quelques mois plus tard, en Novembre 1973, la révolte étudiante reprend, cette fois à l’Ecole Polytechnique d’Athènes, la plus prestigieuse école du pays. Avec une radio pirate, les étudiants appellent le peuple de Grèce à l’insurrection. Pendant 4 jours, les étudiants occupent l’école, mais le 17 Novembre les chars interviennent. L’un deux défonce les grilles. La police et l’armée utilisent des balles réelles. On dénombre, de source officieuse, une centaine de morts. L’Ecole Polytechnique en garde encore les traces. Une semaine après les tragiques évènements du 17 Novembre, un coup d’Etat renverse Papadopoulos. Le pouvoir échoit au général Gizidis et surtout son homme fort : Ioannidis, le chef de la police militaire. Vont alors suivre 8 mois d’intense répression militaire et politique.

Le régime s’imagine sauvé et pense continuer à avoir l’appui des USA. Il provoque en Juillet 1974 un coup d’état militaire à Chypre pour renverser le président Makarios et réaliser le rattachement de Chypre à la Grèce. Les Turcs envahissent aussitôt la partie Nord de l’île. Le coup d’Etat, le débarquement militaire Turc et l’expédition militaire Grecque conduisent à la partition de l’île et font des milliers de morts et disparus en quelques jours, ainsi que 300 000 réfugiés de la zone nord de Chypre qui fuient vers le Sud ou vers la Grèce. Le régime des colonels est alors totalement discrédité sur la scène internationale, lâché par la CIA et les USA. Le pouvoir échappe aux militaires, contraints de repasser la main aux politiques. Le régime est balayé. Constantin Karamanlis, aidé par le président Valéry Giscard d’Estaing rentre d’exil et le 24 juillet 1974 la démocratie est restaurée en Grèce. En 1975, le procès des dictateurs conduit à leur condamnation à mort, commuée en détention à perpétuité.

Le jugement de la junte militaire

Le jugement de la junte militaire

Plongez vous dans le fascinant thriller Z, de Vassilis Vassilikos, qui relate l’assassinat à Thessalonique du député Grec de gauche Georges Lambrakis et dénonce un complot voulant masquer l’assassinat en accident, impliquant les autorités locales, le gouvernement et même le palais ! Vous pouvez également découvrir l’histoire via l’excellent film de Costa Gavras, primé à Cannes :

Je le trouve sur
Le roman ICI
Le DVD ICI

 

Vous le savez déjà, nous sommes fans de la série des thrillers de Petros Markaris. L’un d’entre eux « Pain, Education et Liberté » trouve ses racines à l’époque de la dictature des colonels et des évènements de Polytechnique.

Je trouve la série des thrillers de Markaris sur
Liquidations à la Grecque ICI
Le justicier d’Athènes ICI
L’empoisonneuse d’Istanbul ICI
Epilogue Meurtrier ICI
Pain, Education, Liberté ICI
Le Che s’est suicidé ICI
Publicité meurtrière ICI
Actionnaire principal ICI
Offshore ICI

 

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