Si au cours d’une conversation avec des Grecs, vous commencez une énumération : « ένα και δυο και τρία » (« un, et deux, et trois »), immanquablement, vos amis Grecs enchaîneront, sourire aux lèvres, par : « και τέσσερα φιλιά  » (« et quatre baisers ») !

Cette énumération que chaque Grec connaît par cœur n’est ni plus ni moins que le début d’une chanson emblématique du répertoire Grec, « Les Enfants du Pirée », interprétée par Melina Mercouri, icône féminine Grecque, dans un film non moins mythique : « Jamais le Dimanche » !

Nous vous emmenons aujourd’hui à la découverte de la chanson et du film qui font partie intégrante du patrimoine culturel Grec.

« Jamais le dimanche «  (ποτέ την Κυριακή) est un film de Jules Dassin de 1960. L’intrigue se passe au Pirée. Un touriste américain, Homer, interprété par Jules Dassin lui-même, débarque en Grèce avec une foule de préjugés, idéalisant les Grecs dans leur rapport à l’histoire antique et à leur culture. Ainsi donc, lorsqu’il pénètre dans un bar à rebetiko du Pirée et rencontre Ilya, prostituée libre et indépendante, il décide de remettre Ilya dans ce qu’il estime être le droit chemin, ou en tout cas un chemin plus compatible de l’image de la Grèce antique et classique qu’il a amené avec lui des États-Unis. Ilya est une femme forte et indépendante. Preuve s’il en est, elle n’exerce son métier que lorsqu’elle le souhaite, et jamais le dimanche ! Elle est en cela semblable aux grandes icônes féminines de la tragédie Grecque de l’antiquité. Pourtant, la prostituée du Pirée cède progressivement au charme et aux délicates attentions de son Américain. Elle re-décore son intérieur, change de garde-robe et découvre la culture de ses ancêtres avec lui. Tout n’est malheureusement pas si idyllique qu’il y paraît puisqu’Ilya finit par découvrir qu’Homer est soutenu par un des proxénètes du Pirée qui souhaite qu’Ilya l’indépendante cesse ses activités. Découvrant la réalité, la belle Ilya déjouera tous les plans et partira avec un marin.

Melina Mercouri dansant le ZeibekikoLe film eut un succès mondial à sa sortie en 1960. Melina Mercouri obtint le prix d’interprétation féminine au festival de Cannes et la musique du film remporta l’Oscar de la meilleure musique l’année suivante. Le succès du film résidait dans son thème : la confrontation de deux cultures opposées et la description d’une Grèce bien loin du papier glacé et des guides touristiques. L’intrigue se noue dans les bars à rebetiko et le milieu de la prostitution du Pirée. Grâce à son interprétation solaire, Melina Mercouri conquiert son statut d’icône de la femme Grecque fière et indépendante !

Portrait de Manos HatzidakisLa qualité du film est renforcée par la musique signée du grand compositeur Manos Hatzidakis (Μάνος Χατζιδάκις). La chanson phare, qu’interprète sensuellement Ilya au milieu du film, « Les enfants du Pirée » (τα παιδιά του Πειραιά), est un hymne à l’amitié, à la simplicité, à l’hédonisme et à l’épicurisme. Les quelques notes de musique du départ et bien entendu l’interprétation par Melina Mercouri vont devenir un marqueur de la musique Grecque des années 1960. Alors même que cette chanson n’est pas en tant que telle du rebetiko, elle va contribuer à la normalisation du genre rebetiko qui, rappelons-le, était un genre considéré comme licencieux et fut même interdit avant la deuxième guerre mondiale.

La musique  et la chanson « Les enfants du Pirée » vont devenir des marqueurs culturels dans un contexte de fort développement touristique de la Grèce, tout comme le célèbre sirtaki de Mikis Theodorakis inventé pour le film « Zorba le Grec ».

Melina MercouriLe succès du film et de la chanson vont s’étendre de l’Europe aux Etats-Unis et va pousser Jules Dassin et Melina Mercouri à créer une comédie musicale issue du film. La notoriété mondiale de Melina Mercouri, clairement renforcée par le film et cette chanson, vont faire de l’actrice un symbole. Au moment du coup d’état militaire de 1967, instaurant une dictature en Grèce, Melina va se faire le porte-voix de la contestation en Europe et dans le monde campant une fois de plus, et certainement pour toujours, son personnage d’Ilya plus vraie que nature, fière de ses racines et défendant bec et ongle le plus bel héritage de la Grèce Antique : la démocratie. Le coup d’état éclate alors qu’elle est en tournée à l’étranger. Au régime des colonels, incarné par G. Papadopoulos, qui la prive de ses droits civiques, elle répond dans une intervention devenue célèbre : « Je suis née Grecque et je resterai Grecque, comme Monsieur Papadopoulos est né dictateur et mourra dictateur ».

Encore aujourd’hui, près de 60 ans après la création de la chanson, il n’est pas une taverne ou une soirée de bouzouki en Grèce, dans des lieux touristiques ou totalement perdus, où vous l’entendrez pas. Soyez certains alors que tous les Grecs présents se mettront à chanter, tant cette chanson est connue et symbolise une Grèce simple et joyeuse.  Si  vous ne l’avez jamais vu, découvrez le film « Jamais le dimanche » pour son histoire, son ambiance, sa musique, ses acteurs et bien entendu pour Ilya-Melina !

Encore un dernier clin d’œil pour mesurer à quel point le film fait partie de la culture Grecque. En 2015, au moment du débat qui agita la Grèce sur la réforme qui devait autoriser tous les commerces à ouvrir le dimanche, les contestataires détournèrent une affiche du film avec une Ilya faisant un bras d’honneur surmontée d’un « Jamais le Dimanche ! » !

Voici les paroles de cet hymne à l’amitié, à l’hédonisme et à  l’épicurisme Grec :

τα παιδιά του Πειραιά Les enfants du Pirée
Aπ’ το παράθυρό μου στέλνω
ένα-δύο και τρία και τέσσερα φιλιά
που φτάνουν στο λιμάνι
ένα και δύο και τρία και τέσσερα πουλιά
Depuis ma fenêtre j’envoie
un-deux et trois et quatre baisers
qui arrivent au port
un et deux et trois et quatre oiseaux
Πώς ήθελα να έχω ένα και δύο
και τρία και τέσσερα παιδιά
που σαν θα μεγαλώσουν όλα
θα γίνουν λεβέντες για χάρη του Πειραιά
Comme je voudrais en avoir un et deux
et trois et quatre enfants
qui quand ils grandiront tous
ils deviendront des braves gars pour l’amour du Pirée
Όσο κι αν ψάξω, δεν βρίσκω άλλο λιμάνι
τρελή να με ‘χει κάνει, όσο τον Πειραιά
Που όταν βραδιάζει, τραγούδια μ’ αραδιάζει
και τις πενιές του αλλάζει, γεμίζει από παιδιά
Autant que je cherche, je ne trouve un autre port
qui me rende folle autant que Le Pirée
Où, quand le soir arrive, ses chansons déroule
change sa partition, et, se remplit de garçons
Aπό την πόρτα μου σαν βγω
δεν υπάρχει κανείς που να μην τον αγαπώ
και σαν το βράδυ κοιμηθώ, ξέρω πως
ξέρω πως, πως θα τον ονειρευτώ
De ma porte dès que je sors
il n’y a pas un que je n’aime pas
et quand le soir je m’endors, je sais que –
Je sais que je rêverai de lui
Πετράδια βάζω στο λαιμό, και μια χά-
και μια χά-, και μια χάντρα φυλακτό
γιατί τα βράδια καρτερώ, στο λιμάνι σαν βγω
κάποιον άγνωστο να βρω
Une parure de pierres autour du cou, et une pe-,
et une pe-, une perle en amulette
parce que le soir quand je sors sur le port j’attends
quelque inconnu à rencontrer
Όσο κι αν ψάξω, δεν βρίσκω άλλο λιμάνι
τρελή να με ‘χει κάνει, όσο τον Πειραιά
Που όταν βραδιάζει, τραγούδια μ’ αραδιάζει
και τις πενιές του αλλάζει, γεμίζει από παιδιά
Autant que je cherche, je ne trouve un autre port
qui me rende folle autant que Le Pirée
Où, quand le soir arrive, ses chansons déroule
change sa partition, et, se remplit de garçons

 

Crédits Photo : Wikipedia Grèce.